L'Institut Alémanique de Fribourg-en-Brisgau

Les 85 ans de l'Institut Alémanique - 1931 - 2016
Organisation - Histoire - Missions
par R. Johanna Regnath

L'Institut Alémanique jette un regard en arrière sur une épopée de plus de 85 ans pendant laquelle il a uni des personnalités majeures de la science et de la recherche dans l'espace linguistique alémanique à travers son orientation internationale et pluridisciplinaire.
Jusqu'à aujourd'hui, il a répondu à des problématiques de façon collégiale et interdisciplinaire dans une des régions de renom de l'espace européen.

L'institut a été créé en 1931 sous l'impulsion du Dr. Joseph Wirth, alors ministre de l'intérieur du Reich comme établissement extra-universitaire de recherche. Ses intérêts ont peu à peu croisés ceux des national-socialistes. Apres la guerre, l'institut n'est plus rattaché structurellement à la ville de Fribourg et est sauvé par des initiatives privées.
Une multitude d'évènements et de publications documentent ses travaux. L'histoire de l'institut est le miroir de la relation entre la science et la domination nazi à Fribourg et éclaire l'histoire de la science dans l'espace alémanique jusqu'au 21eme siècle.
Aujourd'hui, l'institut se met au service de l'exploration internationale et interdisciplinaire de l'espace alémanique.
 

Alémanique, sans frontières ! C'est sous ce titre que l'Institut Alémanique a organisé en 2007 à Fribourg une série de présentations des derniers résultats des recherches en dialectologie dans l'espace alémanique. Le titre, et plus particulièrement le point d'exclamation s'est révélé provocateur et a été discuté de façon parfois controversée dans les différentes interventions, étant donné que l'espace alémanique est coupé, comme chacun sait, par différentes frontières.

Le domaine de recherche de l'Institut Alémanique englobe des régions de 5 Etats européens et inclut tous les domaines de recherche scientifique qui concernent de près ou de loin les études civilisationnelles. Il se compose de l'essentiel du Bade-Wurtemberg, de la Bavière souabe, de l'Alsace, de la Suisse alémanique, de la Principauté de Lichtenstein et du land autrichien du Vorarlberg. Il n'est pas traversé seulement par des frontières étatiques, mais aussi par un nombre important de frontières dialectales (voir carte géolinguistique). Il existe cependant une conscience collective pour l'ensemble de l'espace alémanique, qui est avant tout une aire linguistique, mais qui a aussi une certaine cohérence historique.

Le total des 200 membres environ de l'institut représentent à peu de choses près l'ensemble des domaines de recherche qui peuvent contribuer à une étude civilisationnelle complète, par exemple la géographie, la géologie, la germanistique, l'histoire, la dialectologie, l'administration du territoire, la botanique, les sciences sylvicoles, l'aménagement du territoire, l'archéologie, l'histoire du droit, de l'art et de l'architecture, la médecine légale, la sociologie et beaucoup d'autres. Il va de soi qu'on ne franchit pas seulement des frontières étatiques, mais aussi des frontières disciplinaires. L'Institut Alémanique propose à ses membres des ressources et du soutien dans et pour leurs recherches. Sur la page d'accueil du site internet, on peut lire la phrase suivante : « L'Institut Alémanique de Fribourg en Brisgau est, en collaboration avec son groupe de travail à l'Université de Tübingen, un rassemblement de scientifiques et de chercheur(euse)s dont le but est d'encourager l'exploration internationale et interdisciplinaire des problématiques civilisationnelles dans l'espace linguistique et culturel alemano-souabe ». Cette conception de la recherche scientifique, encore très actuelle, remonte au temps de la création de l'institut.

L'Institut Alémanique a été créé en tant qu'institution de recherche extra-universitaire en 1931 par le politicien fribourgeois jadis ministre de l'intérieur du Reich Joseph Wirth. Il avait déjà connu le Bonner Institut für geschichtliche Landeskunde der Rheinlande (Institut pour la civilisation et l'histoire de l'espace rhénan de Bonn) dans les années 1920, alors qu'il était député au Reichstag et chancelier provisoire. A Bonn, on plaçait le « paysage historique » au centre de la recherche interdisciplinaire, qui se substituait ainsi à l'histoire traditionnelle des dynasties et des Etats. Cette position innovante l'a fasciné et lui a servi de modèle dans sa démarche. C'est ainsi que Joseph Wirth a essayé de faire en sorte, en 1931 que ce soit l'Université de Fribourg qui accueille ce nouveau projet. Celle-ci craignait cependant des réactions négatives dans les pays voisins et déclina l'offre de Joseph Wirth. En effet cette idée s'intégrait dans un courant de pensée du lendemain de la première mondiale qui prônait une prise de conscience de la « germanité au sein et hors des frontières » et qui pouvait entrainer, outre les simples intérêts scientifiques apolitiques, la revendication claire d'une révision des limites étatiques.

Apres cela, Wirth s'est tourné vers la municipalité et le maire Karl Bender qui se sont déclarés prêts à en prendre la responsabilité. Le capital de base pour la création de l'institut a été de 40000 Reichsmark, la présidence a été assurée par le maire. La direction intérieure était tenue au départ par un conseil qui promouvait des travaux en pré- et protohistoire mais qui s'est effondré en 1933, lors de la prise de pouvoir d'Hitler. Ce conseil a été dissolu en janvier 1934 par plusieurs partis de la ville pour organiser de nouveaux axes de travail.

En 1935, le professeur fribourgeois d'histoire médiévale Theodor Mayer a repris la direction scientifique et, bien que membre du parti national-socialiste, a commencé à transformer l'Institut Alémanique en un institut de recherche orienté vers la médiévistique. Cela a conduit dans les années suivantes à un lourd désaccord entre Mayer et le maire national-socialiste Franz Kerber au pouvoir duquel l'institut était soumis. Après le départ de Mayer à Marburg, le géographe et cofondateur des Volksdeutsche Forschungsgemeinschaften (communautés de recherche scientifique allemandes) Friedrich Metz a repris provisoirement la direction scientifique.

L'Institut Alémanique n'était pas la seule institution à chercher à se démarquer dans ce domaine des études civilisationnelles potentiellement stratégique en temps de guerre. En 1939 a été créée par l'association des professeurs national-socialistes (NS-Dozentenbund) une « communauté de travail alémanique » et en 1941, à l'Université, l' « Institut d'études historiques et civilisationnelles de l'Université de Fribourg ». Malgré l'accord général avec les politiques national-socialistes, les représentants des différentes institutions étaient en concurrence permanente à propos de leurs différences structurelles mais surtout de la distribution des ressources financières.

Au cours de ces polémiques, il y a aussi eu un désaccord entre Metz et le maire Kerber. De par les bons contacts que Metz avait au ministère de l'intérieur du Reich (qui mettait à disposition le financement de l'Institut) Kerber n'est pas parvenu à lui retirer ses fonctions, mais la querelle au sujet des pouvoirs de décision au sein de l'institut a continué, jusqu'à sa restructuration en 1943 sous le regard du conseil de sécurité du Reich.

Depuis le début de la guerre, le manque de personnel handicapait les travaux scientifiques, parmi lesquelles figurait la préparation d'un atlas de l'espace alémanique. Le bombardement de Fribourg le 27 novembre 1944 a finalement détruit l'essentiel des documents qui étaient conservés dans les salles de travail de l'institut aux archives de la ville. A la fin des conflits, les forces occupantes françaises ont dissolu l'institut. Il a fallu attendre le 15 février 1951 pour pouvoir refonder officiellement l'association.

Friedrich Metz a à nouveau joué un rôle très important dans la (re)fondation de l'institut, d'abord en tant que directeur et président adjoint au théologien Arthur Allgeier et à partir de 1957 en tant que président. Il s'est attelé sans relâche à trouver des financements et des locaux pour l'institut. Ce n'était pas de façon complètement désintéressée, étant donné qu'il avait été suspendu de ses fonctions à l'Université après la guerre. On lui confia enfin en 1955 l'étage supérieur d'une villa au 30 Mozartstraße dans le quartier fribourgeois de Herdern, qui servait alors de locaux si bien à l'Institut Alémanique qu'à la chaire de géographie et d'études civilisationnelles fraichement créée pour Metz. Cette maison devait rester le siège de l'institut pendant un demi-siècle. A partir de 1962, elle a été consolidée et agrandie. Wolfgang Müller, un théologien fribourgeois a encouragé en tant que président une structure de travail ouverte et décentralisée qui a conduit à une multitude de projets. Un groupe de travail de l'Institut Alémanique a été créé à Tübingen en 1965. De plus en plus d'évènements se sont adressés au public pour transmettre les résultats des recherches à la population, essentiellement par des excusions menées par le géographe Wolf-Dieter Sick, président après 1983. A l'automne 1999 s'est produit un évènement qui aurait pu signifier la fin de l'Institut Alémanique : la cour des comptes du land Bade-Wurtemberg a soumis le travail de l'institut à une évaluation. Un an plus tard, les examinateurs ont publié un rapport décrivant l'importance considérable du travail de l'Institut Alémanique pour le land Bade-Wurtemberg, qui n'aurait pu être réalisé par aucune autre organisation. Néanmoins on proposa une nouvelle dissolution de l'institut à moyens termes.

Avec le recul, ce rapport a joué un rôle positif pour l'institut parce qu'il a conduit, non-seulement au sein de ses membres mais aussi pour le grand-public à des discutions intensives au sujet de ses missions et à l'inventorisation de ses travaux et publications. C'est justement la mise en réseau de scientifiques pour la promotion de questionnements transfrontaliers et de travaux interdisciplinaires qui a été remise au centre des intérêts de l'institut. L'institut a reçu le soutien d'une partie de la presse, de hauts représentants du monde politique, et, tout particulièrement du grand-public, ce qui a finalement mené au rejet de la proposition de la cour des comptes.

C'est ainsi que l'institut a pu fêter son 75eme anniversaire en décembre 2006. Un état détaillé de son histoire et de ses contributions a été publiée dans la série des parutions de l'institut.

L'Institut Alémanique est aujourd'hui un organisme de recherche moderne dirigé de façon bénévole par son président Werner Konold. Il forme le comité directeur avec ses deux suppléants, Dieter Speck et Sigrid Hirbodian. Ils sont entourés d'un conseil composé de membres de l'association. La gérante est responsable du fonctionnement général de l'institut.

Le siège de l'institut s'est déplacé au centre-ville à l'automne 2006 et propose une bibliotheque specialisée riche de plus de 25000 ouvrages qui pour la plupart sont accessibles via le catalogue de la Bibliotheque Universitaire et sont à la disposition des membres de l'institut, des étudiants et des autres utilisateurs. Six employés travaillent actuellement dans ses locaux, pour la plupart en temps partiel ; ils sont soutenus par une collaboratrice volontaire.

Le « cœur » de l'institut est toujours la compétence et l'engagement de ses membres : du réseau « Institut Alémanique » ont germé depuis les 75 dernières années de nombreux congrès, une série de livres de plus de 70 titres, le périodique scientifique « Alemannisches Jahrbuch » ainsi qu'une multitude d'évènements ponctuels. En particulier les congrès visent à encourager et à faire connaitre les recherches scientifiques au sujet de l'espace alémanique. La connaissance des paysages de sa région, de ses caractéristiques naturelles et de ses racines historiques est très profitable et même essentielle au développement de l'identité personnelle et renforce le lien entre l'individu et la société. Le grand nombre de visiteurs et la résonance positive de congrès comme « Die Baar als Königslandschaft » montrent qu'il existe bel et bien un tel besoin. Plus de 160 spécialistes et simples curieux ont participé à ce congrès sur l'archéologie et l'histoire de la Baar au début du Moyen-Age, en mars 2008. Les résultats seront publiés dans un volume au courant de l'année 2009.

Les séries d'excursions « Kantone der Schweiz » et « l'Alsace inconnue » poursuivent des objectifs similaires, à l'étranger. Elles proposent à un large public de découvrir la Suisse et l'Alsace sous un angle scientifique, à travers des lieux généralement absents des circuits touristiques.

De plus, l'institut propose un forum qui permet la présentation et la discussion interdisciplinaire des résultats de recherche. Deux fois par an, il publie un programme semestriel, également disponible par E-Mail sous la forme d'une newsletter.

« Le cœur et la mémoire collective des paysages alemano-souabes ». C'est ainsi que le secrétaire d'Etat Gundolf Fleischer a désigné l'Institut Alémanique dans son discours du 9 décembre 2006 à l'occasion de son 75eme anniversaire. Qu'il continue à en être ainsi pour l'espace alémanique, ses habitants, ses chercheurs et ses chercheuses.

Ce texte est extrait d'une contribution dans le périodique « Badische Heimat », ("Badische Heimat", Heft 3 (2008), S. 470-473) et du texte du catalogue de l'exposition « Freiburg im Nationalsozialismus ». L'auteure, R. Johanna Regnath est la gérante de l'Institut Alémanique de Fribourg en Brisgau.

(Traduction par Clément Dorffer, Schirrhein)